Souvenirs du futur à Singapour: city-trip
Se souvenir d’un voyage à Singapour, c’est un peu comme se remémorer à quoi ressemblait le futur
La première chose qui me frappe en arrivant à Singapour, outre les 35 degrés et le taux d’humidité proche des 100%, c’est l’ultra-sécurité. On dit de ce pays que le crime n’y existe (presque) pas. Pour cause, l’omniprésence des caméras dans les rues, magasins, transports et bâtiments, qu’ils soient commerciaux ou résidentiels. Je suis à peine sorti de la station de métro que des vingtaines de caméras de vidéosurveillance sont pointées sur moi. À se demander s’il est même possible de trouver le moindre angle mort dans ce genre de lieux où le passage est constant. À l’intérieur du métro, des pancartes détaillent le montant (très salé) des amendes octroyées à qui tenterait de boire, manger ou fumer dans les transports publics. Dans les rues, des panneaux indiquent fièrement la présence de systèmes de vidéosurveillance, gage de sécurité. Qui tenterait de vous agresser s’il est certain qu’il sera repéré par la police avant même de commettre son crime ?
Personne ne s’en plaint pourtant. Le mantra local s’approche plutôt du « si on n’a rien à cacher, il n’y a pas de raison de s’en offusquer ». L’éternel débat entre liberté et sécurité. Est-ce que j’ai vraiment envie d’argumenter ici sur un débat politique éternel ? Non. Par contre, alors qu’on parle de Singapour comme de la cité-État du futur pour son architecture futuriste et sa technologie de pointe, est-ce que cette hyper-surveillance ne serait pas aussi un élément qui définirait la ville comme une trace du futur ? Puisque nous sommes à une époque où il est devenu tout à fait banal que les réseaux sociaux et autres moteurs de recherche espionnent sans complexe nos données numériques. Et puisque la pandémie du Covid-19 nous pousse à nous demander s’il ne serait pas bon d’épier la population pour arrêter la propagation du virus.
Justement, penchons-nous un peu sur ce Covid-19. Nous sommes au début du mois de mars 2020 quand je passe ces quelques jours à Singapour. L’Occident peu touché par la crise prend encore les choses à la légère. Comme dans beaucoup d’aéroports, on contrôle ma température avant de me laisser entrer dans le pays. Rien d’étonnant jusqu’ici. Sauf que l’ultra-sécurité se poursuit ensuite. Des agents sont plantés à l’entrée de chaque immeuble avec des caméras thermiques et interdisent l’accès à quiconque présente une température corporelle anormale. À l’auberge où je réside, le propriétaire prend également ma température chaque matin et me recommande fortement de porter un masque à chaque sortie. Dans certains bâtiments, on m’impose même de signer un document certifiant que je ne présente aucun symptôme de la maladie (pour le coup, mis à part peut-être pour des raisons légales, je cherche encore l’intérêt). J’en discute avec des amis européens, on s’amuse tous quelque peu de la psychose développée pour une « simple grippe ». J’ai l’air malin aujourd’hui, hein ?
Bon, maintenant abordons un peu cette fameuse architecture futuriste.
La nature dans la ville
Imaginez-vous en 2030, 2050 ou 2100, bref, lorsque les mégapoles auront totalement recouvert la surface du globe. Ou plutôt lorsque la grande majorité des habitants sur Terre vivront trop loin d’un quelconque espace naturel préservé pour pouvoir prendre leur bol d’air du week-end. Du coup, il faudra bien aménager des villes plus « vertes » histoire d’atténuer le sentiment d’être enfermé entre quatre murs de béton. Eh bien, Singapour, c’est ça. La végétation envahit la « ville jardin », allant jusqu’à grimper sur les plus hauts gratte-ciel quand elle ne se matérialise pas par les nombreux parcs plantés un peu partout.
L’architecture, elle aussi, semble venue d’un autre temps. Entre le bateau amarré sur le toit du Marina Bay Sands ou la structure en forme de fleur de lotus de l’ArtScience Museum, il y a de quoi s’étonner. À propos de ce dernier d’ailleurs, j’y découvre une exposition « 2219: Futures Imagined », détaillant un futur possible sur les 200 prochaines années, de manière ni dystopique ni utopique, simplement possible. Pour résumer l’expo dans les grandes lignes, notre planète y devient inhabitable d’ici 2060 (montée des eaux, pollution de l’air et autres joyeusetés), obligeant l’humanité à se réfugier sous terre. La surface du globe désormais principalement composée d’océans chauds est un paradis pour les méduses qui empruntent à l’homme son statut d’espèce animale dominante. Mais tout a une fin heureuse puisqu’au 23e siècle, la nature se régénère et la Terre redevient habitable. Il ne reste alors plus aux êtres humains qu’à remonter à la surface pour (re)coloniser leur nouvel environnement. Rassurant.
Opéra et jeux de lumière
Direction ensuite les Jardins de la Baie (Gardens by the Bay), sans doute l’endroit le plus « instagrammable » du pays. C’est peut-être l’attrait touristique principal ici. Et à raison, le lieu est totalement incroyable. Les « Supertrees » placés à l’entrée du site en guise de geste de bienvenue donnent déjà le ton. On se croit sur une autre planète face à ces arbres artificiels semblant tout droit sortis d’un film de science-fiction.
Plus loin, deux dômes abritent des merveilles naturelles en plein centre-ville. Le Flower Dome rassemble une diversité de fleurs, arbres et autres plantes rares venus des quatre coins du monde. Et la Cloud Forest cache une cascade intérieure de 35 mètres de haut, sublimant une colline artificielle recouverte de végétation. On est bien dans le futur.
Mais le vrai spectacle se produit une fois la nuit tombée, lorsque tout s’illumine. Pas uniquement les immeubles, même s’ils sont déjà un spectacle en soi. Non, c’est surtout la lumière des « superarbres » qui attire toute l’attention. Deux fois par soirée, les enceintes des Jardins se mettent à diffuser de la musique pendant que les jeux de lumière dansent sur les « Supertrees » au rythme des grands opéras (c’était en tout cas le thème lorsque j’y étais). Après environ un quart d’heure passé à s’illuminer de toutes les couleurs sur des airs de Pavarotti ou Bocelli, ces structures épatantes s’éteignent finalement lorsque résonne la dernière note de « Nessun Dorma ». Tout ça gratuitement. Je me souviens avoir déjà payé pour des spectacles franchement moins bien.
Plongée dans l’enfer selon la mythologie chinoise
Les quelques jours suivants me font explorer différents quartiers. Que ce soit Chinatown, Kampong Glam (le quartier arabe) ou Little India, je n’y vois rien d’exceptionnel. C’est très coloré et c’est certainement très agréable de s’y promener quand on habite dans le coin. Mais en tant que visiteur temporaire, déambuler dans ces quartiers me lasse assez vite. Un peu comme les nombreux parcs et jardins, c’est sans doute génial pour y faire son jogging du dimanche matin, mais je ne m’ébahis pas en laissant balader mon regard. En plus, par cette chaleur, je ne tiens pas longtemps à me promener sans devoir chercher un coin à l’ombre toutes les cinq minutes.
Alors pour changer d’ambiance, je fais un tour par Haw Par Villa, une sorte de parc d’attractions horrifique construit durant l’entre-deux-guerres, puis oublié et rénové dans les années 1980 avant de plus ou moins retomber dans l’abandon. Planqué entre diverses statues étranges (un corps de crabe avec une tête de femme, des crapauds en plein ébat ou une vieille dame allaitée par une jeune femme), ce sont surtout les « Ten Courts of Hell » (les « dix tribunaux de l’enfer ») qui attirent mon attention. Le petit bâtiment à l’abri des regards dépeint une vision de l’enfer selon la mythologie chinoise. En gros, à chaque crime correspond un châtiment très précis, représenté par l’une ou l’autre sculpture morbide. J’étais ravi d’apprendre que le manque de respect envers les aînés entraîne l’arrachement du cœur du coupable, que les personnes refusant de payer leur loyer seront écrasées par un maillet en pierre, ou encore que les juges de l’enfer découperont en deux le corps de ceux qui possèdent de la pornographie. Oui, c’est vraiment très précis.
Le meilleur aéroport du monde
Il existe vraiment un classement officiel des meilleurs aéroports au monde établi chaque année par Skytrax (un organisme spécialisé dans l’étude du transport aérien, m’apprend le site de la compagnie). Et ça fait sept ans que le Changi de Singapour n’a pas lâché sa place de numéro un. Quand on se décide à installer la plus haute chute d’eau intérieure du monde (une quarantaine de mètres tout de même) en plein centre de l’aéroport, au milieu d’une mini forêt tropicale, d’un centre commercial, d’un cinéma et de multiples attractions pour tous âges (entre autres : toboggans, trampolines, cordages permettant de se promener au-dessus du sol), c’est assez difficile de faire mieux en même temps. Surtout quand beaucoup de ces attractions sont gratuites, là où il faut souvent payer 200€ sa bouteille d’eau dans les aéroports.
Je pense que le temps n’a jamais semblé si pressé alors que j’attendais un vol. Singapour est peut-être le seul pays que j’ai eu l’impression de visiter jusqu’au tout dernier moment avant d’embarquer dans l’avion. Il faut savoir soigner la première et la dernière impression. Entrée et dessert.